Comment s’orienter en politique
Eds. La Découverte 2017 – 156 p.
Ce livre a été écrit après l’investiture de Trump aux États-Unis. A partir du constat de l’impasse des orientations classiques et du caractère « délirant » du projet trumpiste, Bruno Latour nous propose une autre orientation vers un pôle, un « attracteur », qu’il qualifie de « Terrestre ».
Il lie trois phénomènes majeurs de la fin du XXième et de ce début de XXIème siècle : le changement climatique, la dérégulation, et la montée des inégalités.
L’axe classique selon lequel nous nous orientions jusqu’ici partait d’un « Local » vers un « Global », dans une dynamique au départ positive, portée par les progrès des techniques, de la science, et l’extension des liens humains à toute la planète. Il s’agissait d’une mondialisation « plus ».
Cette mondialisation « plus » a toutefois montré ses limites à partir du moment où le constat a été fait que la planète était trop petite et les ressources limitées pour conduire ce projet : le « Global » ne tenait pas dans la Terre (c’est par exemple la notion de « jour de dépassement »).
Les adeptes de la mondialisation, les « néolibéraux », ont néanmoins persévéré dans un « Global-moins », tandis que les partisans du « Local » proposaient un « Local moins », dans un projet de retour et repli sur soi, derrière des frontières.
Orienté à 90° de cet axe « local-moins global-moins », un nouvel « attracteur » est proposé par les États-Unis de Trump : Bruno Latour le qualifie « d’attracteur hors-sol ». Il s’agit de nier le changement climatique, mais en toute connaissance de cause, dans l’idée qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde, projet cynique de préservation des plus aisés par la force, dans la partie du monde restant habitable.
Le projet « Terrestre » comprend un attachement au sol, un « Local plus » qui amène un nouveau rapport à notre environnement
A l’opposé de cet attracteur « hors-sol », Bruno Latour propose un autre attracteur qu’il dénomme le « Terrestre ». Ce projet rejoint celui de la Transition, et peut emmener avec lui tant des personnes encore sur le chemin d’une mondialisation au rabais, que celles sur celui d’un retour étriqué au local. Il s’agit de s’ancrer dans la Terre en prenant conscience de la réalité de celle-ci, de ses limites, et sans séparer l’homme de son environnement comme nous avons depuis des siècles appris à le faire. L’homme n’est plus l’habitant d’un environnement qu’il observe d’un ailleurs, comme un objet distant, mais il interagit avec lui et celui-ci lui renvoie les conséquences de son action en agissant en retour.
Le projet « Terrestre » comprend un attachement au sol, un « Local plus » qui amène un nouveau rapport à notre environnement, en nous situant en son sein, dans une interaction permanente qu’il s’agit d’observer pour l’orienter au mieux des intérêts humains.
Europe peut offrir l’un des exemples de ce que veut dire retrouver un sol habitable.
Il comprend aussi un détachement par rapport à ce sol, dans le sens qu’il ne nous appartient pas, que « nous lui appartenons ». Les frontières géopolitiques actuelles n’ont pas de sens dans cette approche et doivent nécessairement être redéfinies, grâce à une observation attentive des agents multiples de la vie d’un territoire. C’est à partir de ce « Local non localisé » que se définiront les relations entre territoires et se formeront des institutions politiques nouvelles œuvrant pour le bien commun.
Bruno Latour termine enfin sur un plaidoyer pour l’Europe, une Europe qui « ne peut plus prétendre dicter l’ordre mondial », mais « peut offrir l’un des exemples de ce que veut dire retrouver un sol habitable ».
Cédric ZEITTER